Par René MAVOUNGOU PAMBOU
Dans de nombreux écrits publiés ailleurs, j'ai été
amené à faire deux constats : le premier consiste dans la tendance de
certaines personnes considérant le royaume de Loango comme ethniquement
homogène, c'est-à-dire composé que des seuls Vili. D'emblée, il convient
de souligner que cette vue de l'esprit est loin de cadrer avec la
réalité ethno-linguistique. C'est une imposture manifeste que
d'étiqueter les Vili comme l'ethnie référentielle du Loango.
Le second constat réside dans le fait que certains
auteurs parlent des Loango, de l'ethnie loango ou de groupe ethnique
loango désignant ainsi singulièrement les Vili. Il n'est pas aussi rare
d'entendre des concitoyens, un brin goguenards, traiter ces mêmes Vili
de Baloangu (sing. Muloangu).
D'un point de vue ehthnographique stricto sensu ces
appellations sont impropres et relèvent d'un contre sens, quand ce n'est
de l'intoxication pure et simple. Ce déplorable amalgame est loin de
faire l'unanimité auprès des natifs du Kouilou, du Niari et d'une partie
du Gabon (1) revendiquant leur appartenance au royaume de Loango (2).
Je suis tenté de dire que certains concitoyens parlent des choses dont
ils sont loin d'avoir la maîtrise. Ce qui dénote à l'évidence d'une
méconnaissance de nos réalités et notamment de l'histoire du Congo notre
patrie, laquelle histoire n'est hélas pas connue du grand public, faute
d'être enseignée.
C'est d'autant plus contrariant que cette méprise est souvent le fait du gotha intellectuel, dont récemment un universitaire ayant assumé des fonctions ministérielles et même un journaliste publiant sur un site concurrent. A ce dernier notamment, je rappellerais que le journalisme requiert de la probité et surtout un devoir de respect de la déontologie qui suppose rigueur et efficacité dans la gestion de l'information à mettre à la disposition du public. Cela vous éviterait l'impair qui consiste à prendre vos fantasmes pour des réalités. Le moins que l'on puisse dire c'est que, de manière générale, le paysage ethnique congolais à vocation d'être "un damier inextricable."
Aussi, le royaume de Loango ne saurait faire abstraction de la règle, d'autant qu'il est, par essence, une entité pluri-ethnique. Il n'y a l'ombre d'aucun doute, dès la genèse ses 27 clans primordiaux étaient composés de Vili, Woyo et Yombé. Toutes ses composantes ethniques doivent être reconnues comme telles, d'autant qu'elles font partie de l'édifice commun que représente le royaume. Alors pourquoi s'évertue t-on à occulter l'évidence ou point de générer des frustrations et tensions inutiles quand on sait que le corps social sombre dans un état précaire - gangrené par des métastases - du fait des chantres du sectarisme et de l'ethnocentrisme ?
On ne peut pas exclure tant soit peu délibérément un groupe ethnique d'une entité auquelle il appartient, dans le temps et dans l'espace, sans verser dans le jeu pernicieux et funeste de l'irrédentisme qui demeure le fonds de commerce des braconniers et fossoyeurs de la patrie. On ne peut pas non plus travestir une vérité historique dans le seul dessein de flatter son ego.
A l'heure où le Congo, plus que jamais, aspire à se réconcilier avec lui-même, au lieu de continuer à agiter le chiffon rouge de l'ethnicisme, il s'avère impératif de plonger dans l'histoire afin d'y trouver des ressorts pour de nouvelles perspectives.
En effet, il est de notoriété publique qu'il a existé et il existe dans la partie Sud du Congo-Brazzaville un royaume ou un Etat dénommé Loango, au sein duquel cohabitent les Yombé, Lumbu, Kugni, Vili sans oublier les Bongo "pygmées." Les quatre premières ethnies faisant partie des 27 clans primordiaux kongo (3). Celles-ci venant de Kongo dia Ntotila "Kongo du roi" ou Kongo dia Ntete "Kongo des origines" ont migré sur les terres dont les Bongo étaient les autochtones. Les conquérants Kongo comportaient une puissante confrérie de forgerons, "celle des Buvandji, appuyée sur un corps de guerriers entreprenants s'imposant aux populations locales. Un Etat s'érigea, qui reçu le nom de Loango, terme désignant le pouvoir (lwaangu = le commandement politique)" (4). Grâce à eux, le pays est conquis par les armes. "Leur installation, souligne Soret, se fait par la force et non par le droit,." (5).
Mais, il est assez navrant de constater que dans la conscience collective congolaise les Vili ne soient considérés comme les seuls représentants du royaume de Loango. Même si de par l'histoire, il est établi que les Vili ont joué un rôle prépondérant dans la gestion des affaires du royaume, il n'en demeure pas moins que les autres entités ethniques constituaient des maillons importants tant sur le plan politique qu'économique. C'est pourquoi il sied de souligner que les paisibles Bongo "pygmées," que l'on traite aujourd'hui avec condescendance, avaient leur place au sein de l'Etat de Loango.
Les Bongo, natifs de la terre du léopard, joueront un rôle politique éminemment décisif dans l'émergence de la seconde dynastie de l'Etat de Loango. Ils jouissaient d'une considération telle que pour décrisper la grave crise politique et institutionnelle survenue après le règne de la dynastie conquérante Buvandji. Les notables des 27 clans primordiaux consultèrent Bunzi, la divinité suprême des Kongo, lequel suggéra d'opter pour le choix d'un sang neutre afin de sauver le trône.
C'est ainsi qu'à la suite d'une longue délibération, les notables portèrent leur choix sur une fille pygmée pubère, en l'occurrence N'nombo Sinda, laquelle allait devenir la mère d'une lignée de souverains du Loango. Mais un fait, de la plus grande importance, mérite d'être signalé. En effet, quand N'nombo Sinda revient de Boma - dans l'Etat de Ngoyo - où elle avait été envoyée à la demande du Tchitomi tchi Bunzi "grand prêtre et gardien du sanctuaire de Bunzi", elle est enceinte de ce dernier. Le nouveau-né deviendra Mwé Poati 1er (dit Kamangu), premier Maloango de la seconde dynastie. Or, nous savons que ce sanctuaire se trouve en plein pays Yombe.
Donc, il y a tout lieu de croire que le Tchitomi tchi Bunzi fut un natif Yombé (de l'actuel Congo-Kinshasa). De ce fait, on comprendra que la solution envisagée par les ancêtres, pour relever le trône de Bwali, fut on ne peut plus radicale, tant le sang de la nouvelle dynastie fut totalement exogène.
Il n'y a pas de sacrilège ni de crime de lèse-majesté à le dire : les monarques qui se sont succédés au trône du Loango, depuis la période féodale, jusqu'à nos jours sont les descendants d'une Bongo "pygmée" anoblie. Le fait qu'on ait accordé un tel privilège aux Bongo, peuple que les Kongo ont combattu pour lui déposséder de ses terres, témoignait à l'évidence d'un esprit d'humanisme et de tolérance de la part des conquérants. Le sang est un vecteur métaphysique et catalyseur identitaire. Et sous ce rapport, l'apport du sang bongo au trône avait pour effet de changer la donne et surtout renforcer les inclinations. On peut aussi voir dans cet acte emprunt de mansuétude une compensation ou du moins une réparation à l'endroit des Bongo. Vaincre un ennemi est une chose, mais il importe de ne pas l'humilier. Ceci ne participe que de la saine raison et de la grandeur d'âme. C'est pourquoi il est aisé de se rendre compte qu'après avoir relégué les Bongo dans la forêt, où ils y trouvèrent un havre, il était normal de leur faire comprendre qu'ils n'étaient en rien des parias d'autant que leur sang a contribué non seulement à assurer la pérennité du trône, mais aussi à sceller la paix.
Sur le plan linguistique l'intercompréhension entre ces différentes ethnies de souche kongo est pertinente et l'unité culturelle du peuple de Loango n'est plus à établir. La parenté entre ces différentes ethnies s'impose avec une force d'évidence en dépit des variations dialectales. A ce propos le toponyme Nkakamweka ou Kakamoeka "seul et même ancêtre", nom d'une sous-préfecture de la région du Kouilou, en est la probante illustration.
Une constante des valeurs morales étant fondée sur la cohésion sociale. En effet, ces ethnies affirment par là avoir une seule et même ascendance, donc une filiation commune. Et l'ancêtre dont il est fait allusion n'est autre que le muntu kongo ou le musa kongo "le natif du Kongo" dont le plus emblématique est le thaumaturge et illustre chef Bunzi qui, après les avoir fait traverser le majestueux Kwangu ou Mwila N'nena "le majestueux fleuve" grâce à ses miracles, deviendra à titre posthume la plus grande divinité du panthéon kongo.
On ne soulignera jamais assez que Bunzi fut l'instigateur de l'exode d'une frange de la population de Kongo dia Ntotila. Après sa mort il sera naturellement déifié et vénéré par les Kongo de Ngoyo, de Kakongo et de Loango dans un tchibila "sanctuaire" de Moanda dans l'Etat de Ngoyo (Sud-Ouest de l'actuel Congo-Kinshasa). Ce lieu est à la fois institutionnel et sacré, source de l'autorité politique et religieuse. Tout futur Maloango, en prélude à son sacre, devait impérativement visiter ce sanctuaire, lors d'un voyage initiatique. Le lien entre le Loango et les Etats voisins Kakongo, Kongo et Ngoyo était tel que le roi de ce dernier, dont la capitale est Boma, offrait une fille vierge à chaque Maloango accédant au pouvoir. Ce charmant tribut avait pour effet de perpétuer, dans la descendance de chaque souverain, le souvenir des origines communes de ces quatre Etats. Il appert, de toute évidence, que les nobles de Loango ont même des liens génétiques avec les Yombé (6) du Congo- Kinshasa. Ceci demeure indéniable tant le fait historique l'a établi.
A la lueur de ce qui précède, il n'est guère approprié d'attribuer le nom loango aux seuls Vili, moins encore de désigner globalement toutes les ethnies du Kouilou sous ce vocable. La raison et le bon sens ont toujours présidé auprès des gens de Loango, c'est pourquoi aucune ethnie ne s'est prévalue de ce toponyme au point d'en faire sa marque déposée. Ce qui manifestement est une meilleure façon de se prémunir d'éventuelles velléités ethnocentriques.
Loango reste le nom d'un Etat ou d'un royaume. Il serait cependant maladroit qu'on en fasse un glossonyme ou un ethnonyme pour les Vili, dont je fais partie, au risque de générer inutilement des frictions dans un pays où l'ethnicisme revêt désormais l'allure d'un volcan non éteint. Il appert cependant que même d'un point de vue démographique, au sein du peuple de Loango ainsi constitué, les Vili ne représenteraient qu'une minorité. Dans ces conditions penser que le Loango fut essentiellement un royaume Vili relèverait d'une aberration frisant l'inculture.
Pour des raisons de commodité historique, à défaut de désigner nommément chaque entité ethnique, il sied de parler des Kongo du royaume de Loango ou les Kongo de la région du Kouilou. Ceci est d'autant plus évident qu'il existe un clan dénommé à juste titre Bakongo; lequel est disséminé dans le Mayombe. Comme on peut le constater, ceci caractérise manifestement le lien originel, filial et historique entre non seulement les Kongo du Kouilou et ceux de l'ancien Kongo dia Ntotila, mais aussi avec ceux des autres régions du Congo, de l'Angola, du Congo-Kinshasa et du Gabon. Ceci est parfaitement illustré par l'expression métaphorique suivante :
Makongo n'nuni, Maloango n'kasi, Mangoyo n'tumi si. "Makongo le mari, Maloango l'épouse, Mangoyo le guide."
On comprendra ici que le Kongo demeure le lieu des origines ou du moins le foyer de notre civilisation. Le Loango est l'épouse issue de Kongo, à l'instar de la femme tirée de la côte de l'homme dans la tradition judéo-chrétienne. Le Ngoyo fut un haut lieu du sacré et un centre névralgique, dans ce sens qu'il était par excellence un creuset spirituel et politique. Ces Etats étaient entièrement sous l'emprise du sacré qui légitimait le pouvoir et inspirait les grandes décisions.
Au travers de cette expression on peut, sans coup férir, entrevoir un pacte tacite de non agression entre des Etats kongo, se réclamant des mêmes origines et étant sous la férule ou du moins la mouvance d'un même dieu. En d'autres termes on dirait qu'il s'agit manifestement d'une volonté affirmée des différents Etats kongo de sceller des rapports de bon voisinage.
On saurait passer sous silence un détail, non négligeable, qu'est la présence du radical - ngo "léopard" dans le nom de chacun de ces Etats (ko-ngo, kako-ngo, ngo-yo, lwa-ngo). Cet élément en dit long en ce qui concerne notamment la communauté des origines des Etats kongo. Ils gardent, de ce fait le souvenir de s'être établis une terre infestée de léopards, redoutable félin dont les migrants kongo ont subi la férocité. Il est cependant aisé d'imaginer qu'avant de se rendre maître des terres, ils ont dû payer un lourd tribut. Ayant naturellement été impressionnés par les singulières qualités de cet animal, le léopard deviendra le symbole de la puissance et de l'autorité chez les kongo.
Il convient cependant de souligner qu'à l'origine, l'influence du royaume de Loango s'étendait jusqu'au fleuve Kwangu (7) au sud, donc couvrant le Kakongo et Ngoyo (8), jusqu'au delà de Mayumba au Gabon. Elle impliquait également le versant Est de la chaîne du Mayombe dont une infime partie de la vallée du Niari. De ce fait, le Loango comptait sept provinces, dont chacune était sous l'autorité d'un gouverneur. Pour rendre plus manifeste l'intégrité territoriale et l'intangibilité de cet Etat, on édicta une devise : líkáándà lí kóókù lísíímbà mbótà sámbwáálì.
C'est d'autant plus contrariant que cette méprise est souvent le fait du gotha intellectuel, dont récemment un universitaire ayant assumé des fonctions ministérielles et même un journaliste publiant sur un site concurrent. A ce dernier notamment, je rappellerais que le journalisme requiert de la probité et surtout un devoir de respect de la déontologie qui suppose rigueur et efficacité dans la gestion de l'information à mettre à la disposition du public. Cela vous éviterait l'impair qui consiste à prendre vos fantasmes pour des réalités. Le moins que l'on puisse dire c'est que, de manière générale, le paysage ethnique congolais à vocation d'être "un damier inextricable."
Aussi, le royaume de Loango ne saurait faire abstraction de la règle, d'autant qu'il est, par essence, une entité pluri-ethnique. Il n'y a l'ombre d'aucun doute, dès la genèse ses 27 clans primordiaux étaient composés de Vili, Woyo et Yombé. Toutes ses composantes ethniques doivent être reconnues comme telles, d'autant qu'elles font partie de l'édifice commun que représente le royaume. Alors pourquoi s'évertue t-on à occulter l'évidence ou point de générer des frustrations et tensions inutiles quand on sait que le corps social sombre dans un état précaire - gangrené par des métastases - du fait des chantres du sectarisme et de l'ethnocentrisme ?
On ne peut pas exclure tant soit peu délibérément un groupe ethnique d'une entité auquelle il appartient, dans le temps et dans l'espace, sans verser dans le jeu pernicieux et funeste de l'irrédentisme qui demeure le fonds de commerce des braconniers et fossoyeurs de la patrie. On ne peut pas non plus travestir une vérité historique dans le seul dessein de flatter son ego.
A l'heure où le Congo, plus que jamais, aspire à se réconcilier avec lui-même, au lieu de continuer à agiter le chiffon rouge de l'ethnicisme, il s'avère impératif de plonger dans l'histoire afin d'y trouver des ressorts pour de nouvelles perspectives.
En effet, il est de notoriété publique qu'il a existé et il existe dans la partie Sud du Congo-Brazzaville un royaume ou un Etat dénommé Loango, au sein duquel cohabitent les Yombé, Lumbu, Kugni, Vili sans oublier les Bongo "pygmées." Les quatre premières ethnies faisant partie des 27 clans primordiaux kongo (3). Celles-ci venant de Kongo dia Ntotila "Kongo du roi" ou Kongo dia Ntete "Kongo des origines" ont migré sur les terres dont les Bongo étaient les autochtones. Les conquérants Kongo comportaient une puissante confrérie de forgerons, "celle des Buvandji, appuyée sur un corps de guerriers entreprenants s'imposant aux populations locales. Un Etat s'érigea, qui reçu le nom de Loango, terme désignant le pouvoir (lwaangu = le commandement politique)" (4). Grâce à eux, le pays est conquis par les armes. "Leur installation, souligne Soret, se fait par la force et non par le droit,." (5).
Mais, il est assez navrant de constater que dans la conscience collective congolaise les Vili ne soient considérés comme les seuls représentants du royaume de Loango. Même si de par l'histoire, il est établi que les Vili ont joué un rôle prépondérant dans la gestion des affaires du royaume, il n'en demeure pas moins que les autres entités ethniques constituaient des maillons importants tant sur le plan politique qu'économique. C'est pourquoi il sied de souligner que les paisibles Bongo "pygmées," que l'on traite aujourd'hui avec condescendance, avaient leur place au sein de l'Etat de Loango.
Les Bongo, natifs de la terre du léopard, joueront un rôle politique éminemment décisif dans l'émergence de la seconde dynastie de l'Etat de Loango. Ils jouissaient d'une considération telle que pour décrisper la grave crise politique et institutionnelle survenue après le règne de la dynastie conquérante Buvandji. Les notables des 27 clans primordiaux consultèrent Bunzi, la divinité suprême des Kongo, lequel suggéra d'opter pour le choix d'un sang neutre afin de sauver le trône.
C'est ainsi qu'à la suite d'une longue délibération, les notables portèrent leur choix sur une fille pygmée pubère, en l'occurrence N'nombo Sinda, laquelle allait devenir la mère d'une lignée de souverains du Loango. Mais un fait, de la plus grande importance, mérite d'être signalé. En effet, quand N'nombo Sinda revient de Boma - dans l'Etat de Ngoyo - où elle avait été envoyée à la demande du Tchitomi tchi Bunzi "grand prêtre et gardien du sanctuaire de Bunzi", elle est enceinte de ce dernier. Le nouveau-né deviendra Mwé Poati 1er (dit Kamangu), premier Maloango de la seconde dynastie. Or, nous savons que ce sanctuaire se trouve en plein pays Yombe.
Donc, il y a tout lieu de croire que le Tchitomi tchi Bunzi fut un natif Yombé (de l'actuel Congo-Kinshasa). De ce fait, on comprendra que la solution envisagée par les ancêtres, pour relever le trône de Bwali, fut on ne peut plus radicale, tant le sang de la nouvelle dynastie fut totalement exogène.
Il n'y a pas de sacrilège ni de crime de lèse-majesté à le dire : les monarques qui se sont succédés au trône du Loango, depuis la période féodale, jusqu'à nos jours sont les descendants d'une Bongo "pygmée" anoblie. Le fait qu'on ait accordé un tel privilège aux Bongo, peuple que les Kongo ont combattu pour lui déposséder de ses terres, témoignait à l'évidence d'un esprit d'humanisme et de tolérance de la part des conquérants. Le sang est un vecteur métaphysique et catalyseur identitaire. Et sous ce rapport, l'apport du sang bongo au trône avait pour effet de changer la donne et surtout renforcer les inclinations. On peut aussi voir dans cet acte emprunt de mansuétude une compensation ou du moins une réparation à l'endroit des Bongo. Vaincre un ennemi est une chose, mais il importe de ne pas l'humilier. Ceci ne participe que de la saine raison et de la grandeur d'âme. C'est pourquoi il est aisé de se rendre compte qu'après avoir relégué les Bongo dans la forêt, où ils y trouvèrent un havre, il était normal de leur faire comprendre qu'ils n'étaient en rien des parias d'autant que leur sang a contribué non seulement à assurer la pérennité du trône, mais aussi à sceller la paix.
Sur le plan linguistique l'intercompréhension entre ces différentes ethnies de souche kongo est pertinente et l'unité culturelle du peuple de Loango n'est plus à établir. La parenté entre ces différentes ethnies s'impose avec une force d'évidence en dépit des variations dialectales. A ce propos le toponyme Nkakamweka ou Kakamoeka "seul et même ancêtre", nom d'une sous-préfecture de la région du Kouilou, en est la probante illustration.
Une constante des valeurs morales étant fondée sur la cohésion sociale. En effet, ces ethnies affirment par là avoir une seule et même ascendance, donc une filiation commune. Et l'ancêtre dont il est fait allusion n'est autre que le muntu kongo ou le musa kongo "le natif du Kongo" dont le plus emblématique est le thaumaturge et illustre chef Bunzi qui, après les avoir fait traverser le majestueux Kwangu ou Mwila N'nena "le majestueux fleuve" grâce à ses miracles, deviendra à titre posthume la plus grande divinité du panthéon kongo.
On ne soulignera jamais assez que Bunzi fut l'instigateur de l'exode d'une frange de la population de Kongo dia Ntotila. Après sa mort il sera naturellement déifié et vénéré par les Kongo de Ngoyo, de Kakongo et de Loango dans un tchibila "sanctuaire" de Moanda dans l'Etat de Ngoyo (Sud-Ouest de l'actuel Congo-Kinshasa). Ce lieu est à la fois institutionnel et sacré, source de l'autorité politique et religieuse. Tout futur Maloango, en prélude à son sacre, devait impérativement visiter ce sanctuaire, lors d'un voyage initiatique. Le lien entre le Loango et les Etats voisins Kakongo, Kongo et Ngoyo était tel que le roi de ce dernier, dont la capitale est Boma, offrait une fille vierge à chaque Maloango accédant au pouvoir. Ce charmant tribut avait pour effet de perpétuer, dans la descendance de chaque souverain, le souvenir des origines communes de ces quatre Etats. Il appert, de toute évidence, que les nobles de Loango ont même des liens génétiques avec les Yombé (6) du Congo- Kinshasa. Ceci demeure indéniable tant le fait historique l'a établi.
A la lueur de ce qui précède, il n'est guère approprié d'attribuer le nom loango aux seuls Vili, moins encore de désigner globalement toutes les ethnies du Kouilou sous ce vocable. La raison et le bon sens ont toujours présidé auprès des gens de Loango, c'est pourquoi aucune ethnie ne s'est prévalue de ce toponyme au point d'en faire sa marque déposée. Ce qui manifestement est une meilleure façon de se prémunir d'éventuelles velléités ethnocentriques.
Loango reste le nom d'un Etat ou d'un royaume. Il serait cependant maladroit qu'on en fasse un glossonyme ou un ethnonyme pour les Vili, dont je fais partie, au risque de générer inutilement des frictions dans un pays où l'ethnicisme revêt désormais l'allure d'un volcan non éteint. Il appert cependant que même d'un point de vue démographique, au sein du peuple de Loango ainsi constitué, les Vili ne représenteraient qu'une minorité. Dans ces conditions penser que le Loango fut essentiellement un royaume Vili relèverait d'une aberration frisant l'inculture.
Pour des raisons de commodité historique, à défaut de désigner nommément chaque entité ethnique, il sied de parler des Kongo du royaume de Loango ou les Kongo de la région du Kouilou. Ceci est d'autant plus évident qu'il existe un clan dénommé à juste titre Bakongo; lequel est disséminé dans le Mayombe. Comme on peut le constater, ceci caractérise manifestement le lien originel, filial et historique entre non seulement les Kongo du Kouilou et ceux de l'ancien Kongo dia Ntotila, mais aussi avec ceux des autres régions du Congo, de l'Angola, du Congo-Kinshasa et du Gabon. Ceci est parfaitement illustré par l'expression métaphorique suivante :
Makongo n'nuni, Maloango n'kasi, Mangoyo n'tumi si. "Makongo le mari, Maloango l'épouse, Mangoyo le guide."
On comprendra ici que le Kongo demeure le lieu des origines ou du moins le foyer de notre civilisation. Le Loango est l'épouse issue de Kongo, à l'instar de la femme tirée de la côte de l'homme dans la tradition judéo-chrétienne. Le Ngoyo fut un haut lieu du sacré et un centre névralgique, dans ce sens qu'il était par excellence un creuset spirituel et politique. Ces Etats étaient entièrement sous l'emprise du sacré qui légitimait le pouvoir et inspirait les grandes décisions.
Au travers de cette expression on peut, sans coup férir, entrevoir un pacte tacite de non agression entre des Etats kongo, se réclamant des mêmes origines et étant sous la férule ou du moins la mouvance d'un même dieu. En d'autres termes on dirait qu'il s'agit manifestement d'une volonté affirmée des différents Etats kongo de sceller des rapports de bon voisinage.
On saurait passer sous silence un détail, non négligeable, qu'est la présence du radical - ngo "léopard" dans le nom de chacun de ces Etats (ko-ngo, kako-ngo, ngo-yo, lwa-ngo). Cet élément en dit long en ce qui concerne notamment la communauté des origines des Etats kongo. Ils gardent, de ce fait le souvenir de s'être établis une terre infestée de léopards, redoutable félin dont les migrants kongo ont subi la férocité. Il est cependant aisé d'imaginer qu'avant de se rendre maître des terres, ils ont dû payer un lourd tribut. Ayant naturellement été impressionnés par les singulières qualités de cet animal, le léopard deviendra le symbole de la puissance et de l'autorité chez les kongo.
Il convient cependant de souligner qu'à l'origine, l'influence du royaume de Loango s'étendait jusqu'au fleuve Kwangu (7) au sud, donc couvrant le Kakongo et Ngoyo (8), jusqu'au delà de Mayumba au Gabon. Elle impliquait également le versant Est de la chaîne du Mayombe dont une infime partie de la vallée du Niari. De ce fait, le Loango comptait sept provinces, dont chacune était sous l'autorité d'un gouverneur. Pour rendre plus manifeste l'intégrité territoriale et l'intangibilité de cet Etat, on édicta une devise : líkáándà lí kóókù lísíímbà mbótà sámbwáálì.
"La paume de la main qui tient sept étoiles," ou "la main aux sept étoiles."
L'icône illustrant cette devise que porte l'écusson de l'État représente une main ouverte, paume en avant, au dessus de laquelle sont disposées en arc de cercle sept étoiles, lesquelles symbolisent les sept provinces (Loandjili, Mampili, Tchilounga, Nga Nkanu, Makangu, Mayombi, Mankugni) de l'État. Le tout étant surmonté d'un python symbolisant la puissance et la force calme.
Toutes ces provinces devaient cependant contribuer de manière indéfectible à la gloire et au rayonnement du Loango. Mais, outre le fait que l'icône dans son ensemble signifiait l'autorité du souverain sur toutes les provinces et caractérisait l'intégrité territoriale et l'intangibilité de cet État, on notera que la main est le symbole le plus prégnant de l'union dans la diversité.
Aussi, conscients de la pluralité ethnique - richesse indéniable - et en prévision d'éventuelles frictions intercommunautaires, les ancêtres avaient pressenti la nécessité de jeter les bases d'une coexistence pacifique et de la concorde au sein d'un même État. Il ne saurait être exagéré de poser qu'ici se profilent certaines des caractéristiques de base structurant une nation.
En somme, il sied de noter que les Yombé, Lumbu, Kugni et Vili, se réclamant d'une ascendance commune, constituaient l'ensemble des force vives de l'Etat de Loango. Il est cependant vain, au regard de ces liens génétiques et historiques avérés, d'entretenir des divisions au sein du Loango, car ce ne serait là qu'une façon lamentable de trahir la mémoire de nos ancêtres. On ne saurait sacrifier les valeurs ancestrales sur l'autel d'une prétendue civilisation occidentale, tant elle porte les germes de l'aliénation et se révèle implacablement mémoricide. Nos ancêtres n'avaient guère failli dans leur idéal du vivre ensemble - en bonne intelligence - dans la pluralité.
Aussi, avaient-ils pleinement assumé la diversité ethnique au sein d'un même Etat. En effet, si les ancêtres kongo du Loango avaient cultivé une vision unitaire de l'Etat au point de faire une place pour le moins honorable à l'ethnie Bongo, dont ils conquirent les terres, pourquoi les congolais ne devraient-ils pas, faire preuve d'atavisme en vue d'une dynamique de cohésion et de concorde nationales ? Nous devons nous prémunir du révisionnisme et de la falsification ambiants de notre histoire. Notre passé est jalonné de nombreux repères historiques, lesquels nous sommes tenus de nous en inspirer afin d'ériger la nation congolaise.
Aujourd'hui, plus que jamais, le devoir de mémoire s'impose ! Les congolais gagneraient non seulement à procéder à une introspection sur leurs propres réalités historiques et sociétales, mais il convient surtout de les prendre en compte en vue d'une résurgence de la conscience historique. Pour un Congo nouveau, résolument tourné vers le progrès, il nous faut assumer notre histoire et surtout transcender les clivages ethniques, véritable boulet qui, chaque jour davantage, nous enfonce inéluctablement dans le bas-fond du dépotoir des rebuts de l'humanité.
René MAVOUNGOU PAMBOU, Ethnolinguiste (Royaume Uni)
Auteur de : Proverbes et dictons du Loango en Afrique Centrale : langue culture et société, Paris, BAJAG-MERI, Tome1 1997, Tome 2 2000.
(1) Mayumba (actuel Sud-Ouest du Gabon), une des cités du royaume de Loango, dont la population locale était majoritairement constituée d'un mélange de Lumbu et Vili. C'est également dans cette même région gabonaise que l'on trouve la localité du nom de Petit Loango. Il convient de signaler que la ville de Libreville avait était fondée par 400 esclaves, majoritairement Vili, venant du Royaume de Loango, lesquels avaient été libérés, lors de la traite interlope, des suites de l'arraisonnement l'Illizia, navire négrier qui les transportait vers le Nouveau Monde.
(2) MERLET (A.), Autour du royaume de Loango XIVè-XIXè siècles, Libreville-Paris, SEPIA, 1991.
(3) HAGENBUCHER-SACRIPANTI (F.), Les fondements spirituels du pouvoir au royaume de Loango, O.R.S.T.O.M, Paris, 1973.
(4) HAGENBUCHER-SACRIPANTI (F.), op. cité.
(5) SORET (M.), Histoire du Congo-Brazzaville, Paris, Berger-Levrault, 1978.
(6) Ethnonyme et glossonyme des peuples s'étant établis dans le massif forestier du Mayombe, au Congo-Kinshasa, en Angola et au Congo-Brazzaville.
On dénombre, par exemple, les Yombe de Boma et Tshela, de Cabinda, de Mvouti et les Sara, de Loaka et Kakamoeka. Sur le plan linguistique, les dialectes Yombe varient d'une zone à l'autre.
(7) Nom du fleuve Congo dans les langues du Loango.
(8) Après la sécession de ces deux derniers Etats, la frontière Sud du Loango sera établie à la rivière Tchiloango (Cabinda).
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