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PAGNES GABONAIS

Afrique : Si le pagne m’était conté

Publié par: François Misserle: 28 décembre, 2012Dans: Société_Afrique Imprimer. C’est vers le xviiie siècle que le pagne tel que nous le connaissons, rectangle de tissu imprimé inspiré du batik indonésien, a commencé à se répandre sur le continent. Et d’abord en Afrique occidentale, où il venait cohabiter avec les pagnes locaux tissés de coton, parfois brodés de soie et d’or, des peuples akans de Côte d’Ivoire et du Ghana. Tirant son nom de l’espagnol paño, l’imprimé a supplanté les fibres traditionnelles (coton, écorce) « au grand soulagement des missionnaires ! », raconte Césarine Sinatu Bolya, spécialiste du sujet. Cette ancienne journaliste de l’Agence zaïroise de presse, aujourd’hui animatrice culturelle, dirige l’association Mémoires vives Congo Afrique basée à Bruxelles, dont l’objectif est de collecter et transmettre la mémoire par les femmes. Elle organise régulièrement des défilés avec les membres de l’association. Plutôt que des défilés de mode à proprement parler, il s’agit de défilés didactiques, qui retracent toute l’histoire du pagne africain. Et ses modèles sont des Congolaises de Bruxelles, s’adonnant par ailleurs à d’autres activités. Le pagne, rappelle Césarine Bolya, est né de la rencontre entre des soldats ashantis, enrôlés en vertu de l’accord signé en 1836 par le roi Kwaku Dua, et les Hollandais qui l’auraient ramené de leur séjour en Indonésie. Son procédé d’impression à la cire donnera naissance au wax imprimé. Au fil du temps, le pagne a connu une évolution dans sa forme comme dans ses motifs, tel ce fameux « King George », célébrant le jubilé de George VI d’Angleterre en 1935, d’abord porté au Ghana puis débarqué au Congo, explique Césarine Bolya. Dans les années 1940, les élégantes Congolaises portaient sous le pagne un jupon imposé par les missionnaires, mais aussi un « faux-cul » en tissu plié pour arrondir les courbes ainsi qu’une zigida, une ceinture de perles à laquelle on accrochait des amulettes. À l’envi, les motifs se multiplient, adressant à chacun des signaux spécifiques. Avant l’indépendance du Congo, le pagne ABC veut signifier que celle qui le porte est instruite. Fleurissent aussi les motifs vantant la faune et la flore du pays, comme le zamba zamba (forêt), ou nguma nguma (hippopotame), ou encore « le village Molokai » du chef de file de la néo-rumba, Papa Wemba. Les noms rivalisent d’imagination à une époque où, à défaut de pouvoir se distinguer par le genre de vêtement, les femmes ne peuvent rivaliser qu’avec le nom du pagne, au moment de la « révolution authentique » lancée en 1971, qui bannit les minijupes et les pantalons. La Jeunesse du mouvement populaire de la Révolution (JMPR) ne blaguait pas avec les contrevenantes et coupait les pantalons aux ciseaux, se souvient Césarine Bolya. Mais aussi les cravates également proscrites, car le guide Mobutu, non content de s’ingérer dans la façon de vêtir des « citoyennes », avait interdit aux hommes de porter cet ornement, infligeant comme substitut aux costumes cravates, symbole de l’« aliénation occidentale », le sévère abacost (contraction de « à bas le costume »). C’était au temps des pagnes arborant des noms aussi évocateurs que « l’œil de ma rivale », « mon mari est capable » qui doit son nom au succès d’une chanson de Tabu Ley, « moyaka azui le 15 » (« le domestique a reçu sa paie du 15 »). En même temps, témoigne Césarine, durant ces années de contrainte et d’autarcie – car, à un moment donné, Mobutu avait même interdit les importations de pagnes hollandais Vlisco –, les Congolaises ont fait preuve d’inventivité. « On a tellement détourné, retourné et contourné toutes les interdictions de Mobutu que lui-même en est resté baba », se souvient-elle. Bravant la dictature, les Congolaises n’ont pas hésité à baptiser un de ces pagnes « le cerveau de Tshisekedi », en hommage au leader obstiné de la résistance. « Évidemment, dès qu’on a permis aux femmes congolaises de s’habiller comme elles voulaient, elles ne sont pas privées de retrouver leurs minis. Mais aujourd’hui, les jeunes filles qui défendent leur thèse ou leur mémoire doivent porter un vêtement dit traditionnel qui est le pagne », constate Césarine. On a parfois l’impression, reconnaît-elle, que les jeunes ne veulent plus s’encombrer avec les difficultés du pagne porté de façon traditionnelle, qui s’attache, se détache et se rattache sans cesse. Mais l’image que représentent ces tissus colorés propres à l’Afrique est dans la mode, fait remarquer l’animatrice. Le leader incontesté du marché, la firme Vlisco basée à Vlissigen (Pays-Bas), spécialiste du wax depuis 1846, parle de « fashion ». Tant à Kinshasa qu’à Bruxelles en été, on voit beaucoup de jeunes arborer ces couleurs flashy. Et plus seulement des femmes africaines ! Aujourd’hui, Vlisco propose chaque année des collections d’avant-garde. Elle vient d’innover avec la création récente d’une ligne de prêt-à-porter, distribuée exclusivement dans ses propres boutiques à Lomé, Cotonou ou ailleurs en Afrique, et bien sûr aux Pays-Bas. Cela dit, le port obligatoire du pagne sous Mobutu n’a pas eu que des effets négatifs en ce sens qu’il s’est accompagné pendant un certain temps du développement d’une industrie textile nationale, dont la première épouse du chef de l’État, Antoinette, s’est fait l’ambassadrice, raconte Césarine Bolya. En cela, le Zaïre n’a pas fait exception. Il y avait alors à travers toute l’Afrique une mode du fabriqué et du porté locaux. Sous Mobutu, les usines comme Utexco, Texaf et Sotexki ont bénéficié de cette politique nationale. Les principales villes du Congo possédaient chacune leur usine de confection. À chaque grand événement, Mama Mobutu devait absolument porter un pagne fabriqué spécialement pour elle pour la circonstance. Aujourd’hui, on est passé d’un extrême à un autre. Le paradoxe du pagne est que, devenu vêtement traditionnel africain, il n’est plus guère fabriqué en Afrique. « Nos États n’ont pas défendu nos usines », déplore Césarine Bolya. Utexafrica a fermé son usine de Kinshasa il y a quelques années. Les Chinois ont racheté cette filiale d’une compagnie belge en prétendant d’abord relancer l’entreprise, qui n’était plus compétitive en raison de l’incapacité des douanes à protéger les frontières poreuses de l’État congolais. Mais ils n’ont fait que l’utiliser comme entrepôt et ils ont même embarqué toutes les machines en Chine, avant d’inonder le marché de leurs produits, raconte Césarine. La firme Vlisco elle-même, qui cible plutôt le haut de gamme, doit s’efforcer en permanence de relever le défi de la contrefaçon chinoise. Au Congo comme ailleurs, un bon baromètre de la popularité du pagne et des chemises pour hommes arborant les mêmes motifs demeure l’instrumentalisation qu’en fait le pouvoir pour célébrer les événements à sa gloire. En témoignent les distributions organisées à l’occasion du cinquantenaire de l’indépendance ou du récent sommet de la Francophonie.

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